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« La politique de l’euro fort pénalise la France »
LE BAC VU PAR Libération.fr a proposé à plusieurs personnalités de se prêter à un exercice libre à partir des sujets du bac. Ce mardi, l’économiste Bernard Maris a joué le jeu en planchant sur la dissert du bac ES. Voici sa copie.
En même temps que les élèves et en un temps record (1h32), l’économiste Bernard Maris, auteur notamment de l’Antimanuel d’Economie (tome 1 et 2), a planché sur le sujet de dissertation proposé ce mardi matin aux candidats au bac ES.
Rappel du sujet : Dans quelle mesure les pays membres de l’union économique et monétaire (UEM) disposent-ils de marges de manœuvre suffisantes en matière de politique économique ?
Par BERNARD MARIS, économiste et essayiste
Les membres de l’UEM (la France, l’Allemagne) ont connu par le passé des périodes inflationnistes dramatiques. Le choix de la stabilité monétaire et de la monnaie unique vise à supprimer les risques inflationnistes et organiser une concurrence entre ces pays « saine » et non-monétaire (éviter les dévaluations compétitives). Laissant à la BCE la définition des taux d’intérêt et de la croissance de la masse monétaire, les Etats membres de l’UEM ont néanmoins des marges de manœuvres limitées en matière de politique économique. La « contrainte monétaire » les a guidés vers une politique de l’offre, qui s’est avérée peu efficace.
1. Les limites des politiques budgétaires
Les limites du déficit, de la dette publique, l’interdiction de recourir au financement monétaire pour couvrir le déficit, limitent la politique fiscale, qui devient l’instrument essentiel de la politique économique, au sens quantitatif.
Certes, les Etats peuvent toujours avoir une politique économique « qualitative » forte (réformer leur droit du travail par exemple, leur système de formation ou de santé par exemple) : c’est le sens de la « Stratégie de Lisbonne », qui n’est que l’habillage d’une politique de l’offre allant dans le sens d’un « moins-disant » généralisé et une adapatation aux législations des pays supposés les plus compétitifs. De même, la politique fiscale ne peut que tendre vers le moins-disant (harmonisation des barèmes de l’impôt sur les sociétés par exemple), sauf à briser la compétitivité du pays. La contrainte monétaire implique donc a priori un moins-disant budgétaire et un moins-disant en termes de partage social et de protection du travail.
La limite de l’inflation implique des taux d’intérêts élevés et une limitation du crédit, ce qui explique largement les mauvais résultats de la zone euro en matière de chômage et de croissance –l’Irlande devant sa croissance aux subventions européennes et à sa politique de « passager clandestin », au dumping fiscal qui lui a permis d’attirer des entreprises des nouvelles technologie.
La politique de l’euro fort pénalise particulièrement la France qui n’est pas en position d’imposer les prix comme l’Allemagne (la France subit les prix internationaux, l’Allemagne fait les prix de ses exportations). L’interdiction d’endettement obère les politiques publiques et de recherche.
L’argument du taux d’intérêt fixe qui supprime « l’effet d’éviction » est donc difficilement recevable : 1) L’emprunt public est limité par le Pacte de stabilité. 2) Le taux d’intérêt de la BCE est lui-même contraint par un énorme marché monétaire international, auquel ont volontiers recours les emprunteurs.
2. L’insuffisance des marges de manœuvre
La stabilité des prix est liée à une politique sous-jacente de rigueur et de monnaie forte, privilégiant les détenteurs de liquidités plutôt que les investisseurs. Le choix de la stabilité monétaire conforte une économie d’épargne et de rente plutôt que d’emprunt et d’investissement. Les entreprises sont amenées à trouver des marges de respiration en délocalisant, investissant hors de la zone de l’UEM, et en faisant de plus en plus appel au système bancaire et financier international.
La pression sur les salaires exercée par la volonté de maintenir un taux d’inflation trop bas restreint la demande intérieure et oblige à accepter un fort taux de chômage limitant lui-même les salaires. Cette ambiance «déflationniste» n’incite pas aux efforts de recherche et de productivité, que d’autres pays – les Etats-Unis, la Grande Bretagne – peuvent entreprendre grâce à une politique d’endettement privé et public beaucoup plus accomodante. La question du pouvoir d’achat, résolue dans ces pays par l’importation de produits à prix cassés, devient cruciale dans les pays de la zone euro.
Dans ces conditions la Stratégie de Lisbonne, mettant l’accent sur les politiques de l’offre et la déflation compétitive est simplement catastrophique: la pression interne sur le travail, l’appel systématique aux produits importés, le refus de redéfinir le partage interne des revenus enfoncent tranquillement des pays comme l’Allemagne et la France dans une croissance déflationniste et molle, sans progrès technique et avec un taux de chômage élevé. Les liquidités, elles, se portent vers la spéculation et les marchés financiers risqués et largement parasitaires.
Conclusion: L’échec des pays de l’UEM par l’impossibilité de mener une véritable politique économique.La crise remet en cause le dogme de l’autonomie de la BCE, et de l’absence de politique monétaire – sinon pour répondre en urgence à des faillites. Le risque déflationniste et celui d’une situation à la Japonaise succède désormais à l’objectif mal compris de la stabilité des prix: la stabilité des prix est aussi, implicitement, une politique du partage du revenu.